Le portrait de l’artiste en “effacé”
Au vu de son parcours de vie et d’art, on est bien tenté de dire que Han Psi fut un irrégulier. Ses origines, sa formation professionnelle, ses cours du soir aux Beaux-arts, son retrait monastique provisoire, ses randonnées en terre bretonne sacrée ont fait du typographe de métier un de ces inclassables devant lesquels le regard académique est souvent à la peine. Mais reconnaissons que l’artiste n’a pas peu contribué à cet état de chose, lui qui avait érigé le Beata solitudo, sola beatitudo en précepte.
De 1965 à 1982, au gré des postes qu’occupe son épouse, médecin psychiatre, son atelier se fait nomade, et après une dizaine d’années de présence chez des galeristes, suisses et parisiens, Han Psi se retire des circuits classiques de monstration de l’art. En 1980, à l’âge de la pleine maturité, mais diminué par la maladie qui l’oblige à réduire son geste, il s’efface : son œuvre, si profuse et si énigmatique, va définitivement rester sans témoins d‘atelier.
Disons-le d’emblée : si l’on excepte quelques croquis à caractère très figuratifs qui appartiennent presque au genre du story-board de bande dessinée, la quasi-totalité de l’œuvre peint de Han Psi (encore faudrait-il s’entendre sur ce que recouvre l’acte de peindre) est une quête, une recherche pure qui s’apparente à celle des artistes abstraits de la première moitié du XXe siècle (Degottex, Hartung, Soulages, Hantaï, Michaux), sans que l’on sache, fautes de témoins, de correspondance ou de traces tangibles, quelle connaissance il avait de ce milieu, de ses manifestations et de ses productions. Comme eux, mais à sa façon, il se détourne de la représentation figurative pour lui préférer l’exploration de territoires en marge, faire droit à d’improbables contrées dont tout indique qu’elles sont, ou furent, peuplées, comme l’attestent ces systèmes de signes, des langues sans aucun doute, provisoirement indéchiffrables.
Comme les compositeurs viennois du début du XXe qui cherchent à sortir du carcan tonal et inventent le dodécaphonisme, Han Psi se dote d’une « tonique », le couple du noir et du blanc, qu’il ne cessera plus d’interroger, en le disposant dans d’inouïes combinaisons sérielles, car la série est un besoin autant qu’une méthode, le moyen de faire vibrer la variation, l’imperceptible nuance qui fait comprendre que l’énigme initiale posée sur le format de papier vient d’atteindre un degré satisfaisant de résolution.
Han Psi s’est effacé, avons-nous dit. Faisons donc de cet effacement de l’artiste, du manque de témoignages sur son geste, l’espace de notre liberté. Son œuvre attend son inventeur, celui ou celle qui saura lui trouver sa place véritable dans l’histoire des formes. Pour l’heure, notre regard personnel ne peut se prévaloir que de la fréquentation assidue de ses œuvres, l’immersion dans ce blanc et noir obstiné, la lecture du geste et du jet, l’interrogation face aux séries, la tentative de décodage des objets insolites, ces présences volatiles qui traversent le cadre ou s’y installent, ces paysages premiers nés de la tache sur le papier, ces éclaboussures de sang noir qui attestent qu’il y eut violence...
De cette fréquentation nous avons simplement voulu, dans l’inouïe profusion, faire quelques repérages et ménager de fragiles passerelles pour entrer chez cet effacé volontaire.
Bernard Le Doze
Repères biographiques
1933 : naissance à Rennes,
le 4 décembre1933 . De son vrai nom Michel Colin.
Père menuisier-charpentier, mère au foyer, second d’une fratrie de 6 enfants.
1947-1949 : apprentissage de la typographie à l’Imprimerie Bahon-Rault à Rennes. C.A.P. de typographe.
1949-1957 : Typographe à l’Imprimerie Oberthur à Rennes.
Cette expérience dans la grande entreprise rennaise est décisive : la pratique typographique, l’utilisation du noir et blanc sont aussi une école du regard, du cadrage et de la mise en place.
1954 : appelé en Algérie, puis réformé.
1957-1962 : suspension de l’activité salariée :
1957-1961 : années à l’Abbaye de Boquen (22).
Ce retrait du monde n’ira pas au-delà d’une période probatoire. Plus qu’un choix religieux, ce fut un choix de solitude.
1961-1962 : Tro Breiz:
Ce voyage initiatique à l’âge adulte consacre la Bretagne comme une terre sacrée.
1962-1965 : reprise de l’activité salariée à l’Imprimerie Oberthur : typographe puis correcteur et metteur en page.
1962 : Mariage avec Marguerite Gérard , étudiante en médecine,
puis médecin-chef des Hôpitaux Psychiatriques.
1963 : naissance d'un premier enfant
1964 : naissance d'un second enfant.
En 1965, prend le pseudonyme de HAN PSI : anagramme de Psihan,
hameau de ses grands-parents et berceau de son enfance dans la forêt de Brocéliande.
1965 : se consacre exclusivement à son œuvre : d’abord création d’idéogrammes, recherches calligraphiques.
1965 -2015 : déplacements suivant les postes de l’épouse
et expositions jusque dans les années1980 :
Bégard ( 22 ):1965-1967
Clermont de l’Oise : 1967-1968
Paris : 1968 -1970
1969 : Recherches graphiques avec l’équipe de FORMICA aux usines
de Quillan (11)- Réalisation de panneaux sur Formica avec impressions sérigraphiques.
Rouffach (68) : 1970-1975
Mulhouse ( 68) : 1975-1978
Clermont de l’Oise : 1978-1982
1980 : abandonne toute idée de vente de ses œuvres.
Paris : 1982-1996
L’atelier est au 12 passage Turquetil (11ème)
Rimou (35 ) : 1996-2015
Décès à Rimou le 12 Mai 2015
Les œuvres
Années 65-70 (Bégard-Paris)
Les Idéogrammes
Années 70-78 (Rouffach-Mulhouse)
Les grands dessins – Les Formicas –
Les sérigraphies (65 x110 et 56 x 76)
Années 79-96 (Paris Turquetil)
Herbes, Oiseaux
Paysages divers et Cartes postales
Années 96-2015 (Rimou)
Les Images (format A3)
Dessins sur sopalin